21 décembre 2007

A l'hôpital Tenon, à Paris, les personnels épuisés tiennent à leurs RTT

Le slogan "travailler plus pour gagner plus" résonne étrangement dans les murs de l'hôpital Tenon, à Paris. Au service de néphrologie et d'hémodialyse, il fait sourire quand il ne passe pas tout simplement pour de la provocation.
Dans ce département de pointe qui vient d'être réorganisé pour offrir, en soirée, une séance supplémentaire de dialyse aux patients en insuffisance rénale, médecins et personnels soignants travaillent généralement sans compter. Les comptes épargne temps (CET) s'accumulent, les heures supplémentaires non payées aussi, mais les 35 heures font moins débat que la question du pouvoir d'achat.

"C'est pas de travailler plus pour gagner plus dont on a besoin, résume Françoise Delestre, infirmière. C'est d'être tout simplement mieux rémunéré pour tout le boulot qu'on abat déjà."
La promesse du gouvernement de "monétiser" les CET à l'hôpital – la ministre de la santé, Roselyne Bachelot devrait entamer des négociations avec les syndicats hospitaliers en janvier 2008 – ne suscite guère d'enthousiasme. Les personnels d'encadrement ou les médecins, qui ont souvent choisi de capitaliser leurs RTT, sont plus que sceptiques quant à la capacité financière de rachat de l'hôpital.
Comme tous les hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Tenon affiche un déficit de l'ordre de 9,9 millions fin 2007. "On ne voit pas dans ces conditions comment les 35 heures pourraient être payées", estime le docteur Jean-Philippe Rougier, néphrologue, qui n'est pas certain de pouvoir transformer ses 80 jours de RTT accumulés en un congé sabbatique rémunéré.
Bien qu'elles représentent un casse-tête pour l'administration des hôpitaux – fin 2005, l'AP-HP comptait plus de 320 000 jours accumulés de RTT toutes catégories confondues –, les 35 heures sont souvent plébiscitées. Les infirmières ont ainsi obtenu des journées de repos pour ponctuer un travail souvent usant.


"Avant les RTT, on travaillait sept jours d'affilée, sans repos, et avec le recul, on se demande comment on faisait, explique Sylvie Labbé, infirmière. Les RTT viennent couper ces grandes semaines par un jour de congé, c'est devenu indispensable." "Franchement, je ne m'imagine pas aujourd'hui travailler à l'hôpital sans RTT, ajoute Malika Medjahed, une jeune diplômée. Et même si on voulait me les racheter, je les garderais."


La plupart des infirmières s'en tiennent à leur temps de travail. Les heures supplémentaires sont rares dans le service, et "plutôt faites dans l'esprit de dépanner, en cas de problème avec le planning", explique Laurent Vardon, infirmier. Certains en font toutefois pour améliorer les fins de mois difficiles, et cela pourrait se multiplier depuis que ces heures ont été défiscalisées par le gouvernement. "Jusqu'à présent, je ne voulais pas faire d'heures supplémentaires pour ne pas donner plus d'argent aux impôts, mais maintenant ça m'intéresse, explique Joëlle Jarrin, aide-soignante. Depuis l'euro, on a du mal à joindre les deux bouts : avec un loyer, une voiture et tous les prélèvements, à la fin du mois, il reste pas grand-chose."
"FAUX-SEMBLANT"
Pour la plupart des personnels soignants, les heures supplémentaires restent cependant un "faux-semblant". "On ne veut pas rentrer dans ce cercle vicieux, explique Malika Medjahed. Plus vous êtes mal payé, plus vous êtes incité à faire des heures sup, et ça ne règle pas le problème des salaires."
Comme beaucoup d'agents de la fonction publique, Malika Medjahedet Sylvie Labbé étaient en grève le 20 novembre pour leur pouvoir d'achat. "Etant donné la responsabilité, les horaires et le fait qu'on travaille les week-ends et les jours fériés alors que c'est épuisant physiquement et qu'on côtoie la maladie et la mort avec le sourire, on pourrait quand même être mieux payés !", estime Sylvie Labbé, 1800 euros par mois avec quatorze ans d'ancienneté.
De fait, la faiblesse des rémunérations commence à poser problème à l'hôpital public. Dans une spécialité aussi technique que la néphrologie, les salaires des infirmières du secteur privé sont presque deux fois plus importants pour un travail souvent moins pénible avec moins de gardes.
"La fuite vers le privé est réelle, on voudrait tuer l'hôpital public qu'on ne s'y prendrait pas autrement, analyse Manuel Lapie, cadre infirmier. Si on veut travailler plus pour gagner plus, ce n'est pas dans le public qu'il faut rester. Les gens ont besoin de plus d'argent pour vivre, mais l'hôpital n'en a plus."


Cécile Prieur - Le Monde du 18 décembre 07