04 mars 2008

Ordre infirmier : Entretien avec Regine Clément, présidente de l'APOIIF



Pourquoi vous et votre association avez milité pour la création d’un Ordre infirmier, alors qu’il existe déjà de nombreuses associations et syndicats et des structures où la profession infirmière est représentée ?


Certes beaucoup d’associations existaient, mais aucune n’avait vocation à œuvrer à la création d’un Ordre. L’ APOIIF (Association pour un Ordre des Infirmières et Infirmiers de France) n’a été créée que dans ce seul objectif. En effet, la nécessité d’une structure ordinale représentative de la profession nous est apparue au début des années 2000, au moment où on commençait à parler de pénurie médicale, où la moitié des écoles d’infirmières fermait et où on passait aux 35 heures avec les problèmes que cela a soulevé à l’hôpital. Le premier élément déclenchant de la réflexion a été les discussions sur le transfert des compétences (je préfère d’ailleurs parler de transfert de tâches). L’examen des expériences de transfert montrait qu’elles ne pouvaient pas être reproduites parce qu’elles s’appuyaient sur des individus : derrière, il n’y avait ni formation, ni reconnaissance de la compétence acquise, ni évolution salariale.
Deuxième élément déclenchant : la nouvelle gouvernance à l’hôpital. Alors qu’il arrive que, dans certains services, les infirmières produisent les trois quarts des soins, les professionnels de santé autres que les médecins (notez bien que je ne dis pas paramédicaux) n’ont aucune place au conseil exécutif local : nous devons appliquer des décisions, concernant l’organisation des soins, prises d’en haut sans qu’il y ait eu discussion ni négociation.
Par ailleurs se posait le problème d’une représentation, dans certains domaines (comme les questions de formation, d’organisation des soins, de pratiques et de responsabilités professionnelles…) pour toute notre profession. Par exemple, quand un sujet doit être traité entre le ministère, il a le choix de recourir à une des 250 à 300 associations ou syndicats, qui malgré tout n’arrivent pas à être représentatives de toute la profession, quand on sait, par exemple, que seulement 4 % des infirmières salariées sont syndiquées.
Enfin, au niveau européen, de très nombreux dossiers concernant les infirmières n’ont pas pu être discutés avec les infirmières françaises, alors que nous sommes le pays où existe le plus grand nombre d’infirmières, parce qu’il n’y a aucune structure commune, aucun Ordre, pour nous représenter.
La profession a donc besoin d’être représentée par un Ordre qui parle d’une seule voix, tout en tenant compte de toutes ses facettes. Les dossiers urgents à traiter sont nombreux : évaluation, analyse et validation des pratiques professionnelles, transfert de tâches, validation des acquis et de l’expérience, diplômes universitaires (LMD : licence master doctorat), etc… A ce propos, la profession ne peut pas accepter que les étudiants en soins infirmiers puissent, aujourd’hui, obtenir leur diplôme avec 6 sur 20 de moyenne, redoubler trois fois et avoir la possibilité d’interrompre leurs études pendant cinq ans, puis de les reprendre au même niveau sans évaluation préalable. C’est brader notre profession et mettre en danger la qualité des soins. Ça n’est pas parce que nous manquons d’infirmières qu’il faut faire tout et n’importe quoi.

Imaginons qu’il existe un seul syndicat unissant la majorité des infirmières. L’Ordre est-il encore utile ?
Ordre et syndicats n’ont pas les mêmes missions. Elles ne sont pas opposées, mais complémentaires. Un exemple : l’Ordre, dans sa mission pour la formation infirmière, oeuvrera pour le système LMD ; mais on sait très bien que l’acquisition d’un diplôme universitaire doit être assortie d’une revalorisation salariale. Nous avons besoin des syndicats pour défendre cette dernière.
En réalité, les données des autres pays européens montrent que lorsqu’un Ordre infirmier devient puissant, les syndicats le deviennent aussi.

Imaginons à présent une faible participation aux élections ordinales. Quelles en seraient les conséquences ?


De toute façon il y aura un Ordre, puisque la loi et ses décrets d’application sont parus. Ceux qui auront été élus rapidement pourront se mettre au travail et prouver que la nouvelle structure ordinale est utile à la profession. Mais cette légitimité pourra aussi d’emblée d’écouler d’une forte participation des infirmières aux élections et de leur forte implication ultérieure aux travaux. C’est pour cela que nous voulons que toutes les infirmières soient informées du vote qui aura lieu en avril. Les infirmières libérales sont mieux informées, parce qu’elles ont des syndicats très actifs, ce qui n’est pas toujours le cas des salariées. Cela étant, dans tous les endroits où je passe, les infirmières que je rencontre, à l’occasion de conférences sur l’Ordre, sont très majoritairement convaincues de la nécessité de ce dernier. A elles de voter pour des personnes en qui elles ont confiance.

L’Ordre est élu. Quelles sont ses priorités de travail ? Le code de déontologie ?


A mon avis, la première priorité, c’est aussi le suivi démographique. Les données sont imprécises et nous évaluent, aujourd’hui, à près de 500 000. Pour réfléchir sur le nombre d’étudiants à former, nous devons savoir exactement combien nous sommes, comment nous sommes réparties sur le territoire et entre modes d’exercice, combien sont spécialisées. Nous avons besoin d’une vision précise de notre démographie. C’est possible puisque nous avons l’obligation d’inscription sur les fichiers ADELI.
Deuxièmement : le code de déontologie. Il existe déjà un code européen, présenté au Parlement européen, qu’il nous faudra adapter à la situation française.
Troisièmement : les pratiques professionnelles. Il nous faudra travailler à des conférences de consensus, avec nos autorités de tutelle et avec l’HAS.

Quel va être le rôle des élus ?


Ce premier mandat sera déterminant. Il y aura largement du travail pour tout le monde, à tous les niveaux, départemental, régional et national : mise en place et organisation de ces derniers, définition des priorités, travail sur les dossiers dont je viens de parler, identification des problématiques des professionnels et des usagers, réflexions sur les questions de formation et de recherche, d’entraide et de solidarité, mise en route des collaborations avec les interlocuteurs nationaux et étrangers.

Cela risque de leur prendre beaucoup de temps. Est il prévu de les dédommager financièrement ?


La réflexion sur d’éventuelles modalités d’indemnités doit avoir lieu. Mais je ne suis pas favorable à ce que les élus, qui représenteront notre profession, perdent le contact avec le terrain. Ma légitimité de cadre repose sur ma rencontre quotidienne avec les agents et la connaissance concrète de leurs difficultés. L’Ordre devra toujours rester une émanation du terrain infirmier et œuvrer pour ce dernier.

Quel sera le montant de la cotisation ?


Il ne faut pas, encore une fois, rester bloqué sur des faux problèmes. Cette cotisation, outre qu’elle sera la garantie de l’indépendance ordinale, reviendra à celles qui l’auront payée, au travers de la rétrocession à l’échelon départemental, pour ses actions locales, de l’essentiel de cette cotisation, comme le prouvent les exemples des principaux Ordres Infirmiers étrangers. Par ailleurs, l’importance du nombre des infirmières pourra permettre que le montant de cette cotisation soit minime, compris entre 20 et 40 euros.

Vous insistez sur l’image de marque de la profession infirmière. Pourtant, elle est très bonne auprès du grand public.


On nous aime, mais on ne nous traite pas comme des professionnelles. Je suis très fière d’être infirmière, professionnelle et responsable. Cette image doit aussi trouver sa correspondance dans la place qui lui revient, à tous les niveaux, au centre du système de santé français.

Serge Cannasse Infirmiers.com / Carnets de santé Février 2008