Euthanasie, non merci ! Donnons des moyens aux soins palliatifs
Par isabelle Lorand, chirurgienne.
Le droit d’administrer des traitements antalgiques et sédatifs qui accélèrent le décès, l’abstention de réanimation ou de traitements actifs sont autorisés par la loi Leonetti. L’acharnement thérapeutique est d’ores et déjà hors la loi. Aller plus loin, c’est autoriser l’aide au suicide parce que la vie est jugée comme insupportable par la personne elle-même. Parmi ces demandes, il faut distinguer le cas des personnes qui ont la capacité physique de se suicider et qui pourtant demandent à la société de le faire. J’exclus pour ma part d’accéder à cette demande. Le droit de suicider autrui serait un recul anthropologique à la hauteur de ce que fut l’évolution de l’interdiction de la peine de mort. En outre les instigateurs d’une telle possibilité devraient répondre à une question. Quelle douleur est « digne » du suicide assisté ? La douleur physique, la douleur psychique : cancer, handicap, Alzheimer, schizophrénie… Pente glissante. Beaucoup plus discutable à mes yeux, l’assistance au suicide de personnes si handicapées qu’elles ne peuvent effectuer le geste elle-même, cas rarissimes et par nature particuliers. Loi ou pas loi, il s’agira d’une exception d’ordre juridique et non médical. Il faudra des juridictions pour évaluer s’ils entrent dans le cadre de l’acceptable. C’est de fait déjà ainsi.
L’euthanasie stricto sensu consisterait à donner la mort à des patients au stade palliatif mais n’ayant pas atteint le stade ultime de la maladie. Car le stade palliatif n’est plus, et loin s’en faut, le stade ultime de la maladie. Les progrès de la médecine ont permis de sortir d’une situation binaire : guérison ou issue fatale. L’ambition est aujourd’hui de permettre aux patients de vivre bien et longtemps malgré leur maladie. Le soin palliatif n’est plus un échec mais un enjeu médical. Très loin de ces reportages sordides sur l’expérience suisse, ou des gens totalement autonomes font une fête au café du village avant d’aller acheter l’injection fatale.
La Déclaration universelle des droits de l’homme proclame que tous les hommes sont égaux en dignité. De la naissance à la mort. Et même après la mort. Ce qui justifie l’indignation face aux profanations. La dignité est consubstantielle de l’humanité. Alors que signifie le droit à mourir dans la dignité. Certains mourraient dans la dignité, et d’autres pas ? Mais alors, qu’est-ce que mourir dans l’indignité ? Quel malade serait exclu de la communauté humaine ? Et là, on ne joue pas avec les mots. Dans cette société marquée par la loi du plus fort, de la concurrence, du corps parfait… le malade est évincé. Les gens en fin de vie ne parlent pas tant de leur douleur physique, les médicaments sont là. Mais de la déchéance sociale qui leur est insupportable. Sous des formes multiples, les cheveux qui tombent, la peau sèche, le maquillage défaillant : le malade, le vieux ne répond pas aux canons en vogue… Il y a les signes extérieurs de maladie. Et il y a tous ces petits actes de la déconsidération. Les intellectuels à qui on ne parle plus de livres, les militants à qui on ne parle plus de politique, les mamans maternées par leurs enfants… Un malade est une personne. Cette exclusion de la maladie, de la fin de vie, correspond à une tendance très lourde des civilisations occidentales : la désocialisation de la mort et de leurs proches. Plus d’un quinquagénaire sur deux vivants dans les grandes villes n’a jamais vu un mort. La première souffrance des vieux est la solitude. Hier, la mort était un tabou. Elle est aujourd’hui déniée. C’est dire l’importance déterminante des soins palliatifs. Le temps des mouroirs est révolu. Celui de la prise en charge exclusive de la douleur également. Esthéticiennes, art thérapeutes, psychologues, aides familiales… les soins palliatifs sont des espaces de socialisation. D’ailleurs les formes en sont multiples : unités d’hospitalisation, unités volantes, soins à domicile, aussi variées que les attentes des malades. Autant dire que leurs moyens n’est pas une question annexe. Il y a 500 lits d’hospitalisation. Il en faudrait au moins 3 000. Alors, j’affirme avec fermeté que le retard au déploiement de la loi Leonetti et la crise tragique de l’hôpital public ne peuvent en aucun cas justifier l’euthanasie.
Le débat sur la fin de vie prend des formes passionnelles alors que le rapport à la mort mérite le débat le plus rationnel, le plus éclairé, le plus démocratique possible. Axel Kahn affirme que ce débat doit « exclure tout schématisme, tout réductionnisme simplificateur ». Très loin de la démocratie sondagière. Permettre un débat populaire serein s’appuyant sur un bilan de la loi Leonetti devrait être l’objectif des progressistes. Les parlementaires ne pourraient-ils pas en être à l’initiative ? Multiplier les formes permettant d’associer le plus grand nombre. Investir les médias dans ce débat. Engager une consultation dans les écoles, les entreprises, les quartiers… Le récent débat public sur le Grand Paris démontre l’utilité de telles consultations. Pourquoi ne pas envisager une conférence citoyenne, et même un référendum. Sur une question aussi sensible, qui transcende les courants de pensée, le rôle du législateur n’est-il pas de donner au peuple le pouvoir de décider ?